Légendes autour du Guirbaden

Dans un manuscrit de l’année 1862, le curé KRAMER de Niederhaslach nous transmet diverses légendes qu’il a dû trouver dans les traditions populaires. Ci-dessous quelques unes de ces légendes retranscrites du livre d’Armand KIEFFER de 1968.

 

LA CHAPELLE SAINT-VALENTIN AU CHATEAU DE GIRBADEN

« Le diable vit un jour une grande foule d’hommes occupés à élever une construction sur la montagne que couronne le château de Girbaden. A la fin de leur journée de travail, les ouvriers étaient redescendus dans la vallée ; le diable s’approcha du bâtiment et résolut de l’achever et d’en faire une belle auberge avec une salle de bal ; afin que l’ascension de la montagne fût plus facile, il fit faire dans la nuit par les esprits, ses sujets, une large route pavée.

Le lendemain matin, les maçons voulurent se remettre à l’ouvrage ; ils virent que la main du diable était intervenue. L’un des ouvriers prit les devants et planta une croix sur l’édifice, qui était une chapelle dédiée à saint Valentin.

Le diable caché dans un buisson voisin, vit cela ; il saisit un quartier de rocher pour écraser la chapelle. Mais saint Valentin apparut, revêtu d’ornements sacerdotaux, levant la main pour bénir la foule. Le diable prit la fuite en vomissant des injures.»

 

LA NUIT DES ASSISES DE JUSTICE A GIRBADEN

« L’histoire de la destruction du château de Girbaden est obscure. Quelques auteurs l’imputent aux Suédois, qui occupèrent l’Alsace pendant la guerre de Trente Ans et ruinèrent la plupart de nos châteaux ; d’autres auteurs l’imputent à des soldats lorrains, qui, dirigés par un valet du château, s’en emparèrent à la fin du XVIIe siècle, le ravagèrent et en tuèrent tous les habitants. Le peuple tient pour cette dernière opinion et rattache à ces faits la tradition de la terrible nuit des assises de justice, que les esprits du château tiennent tous les ans, à la Toussaint.

Les habitants des localités du pied de la montagne racontent ceci : à minuit le Vogt (burgrave ou bailli) sort de son tombeau ; il parcourt les chambres et les corridors ;                il appelle les habitants et les excite à la vengeance.  Quatre serviteurs descendent dans un caveau, aujourd’hui presque écroulé et remontent le cercueil de la Comtesse de Girbaden. Les esprits de tous les habitants, qui vivaient au château de son temps se réunissent autour de son cercueil. Le Vogt du bourg, les yeux étincelants dans leurs orbites creusées, ses blessures fraîches toutes saignantes, préside l’assemblée. On traîne sur la place le valet traître revêtu d’une chemise rouge. Il tient dans sa main la clef de la porte par laquelle il a introduit dans le château des soldats lorrains.

Le tribunal ouvre séance. Le traître subit l’interrogatoire ; il cherche à se défendre ; l’assemblée le déclare coupable. La comtesse, restée jusque-là immobile dans son cercueil, interpelle le Vogt du burg ; d’une voix claire elle lui dit : « Venge la trahison ! »

Aussitôt le valet est précipité sur le sol ; on sonne la cloche d’alarme ; tous les assistants se prennent par la main et tournent autour de lui en une farandole effrénée ; il est piétiné sans merci… tout disparaît aux premières heures du jour.

Ces assises de justice se renouvellent toutes les nuits pendant une semaine entière ; plus d’un forestier affirme avoir entendu les cris affreux des esprits, dominés par le son déchirant de la cloche d’alarme ».

 

LE JOYEUX VOGT (BURGRAVE OU BAILLI) DE GIRBADEN

« Vers la fin du XVIe siècle, vivait au château de Girbaden, un Vogt ou Amtmann de la famille Rathsamhausen. C’était un joyeux compère ; il avait dans sa cave les meilleurs vins du pays, il aimait la bonne table et la joyeuse compagnie.

Quand un visiteur se présentait pour la première fois à Girbaden, on posait sur la table une grande cruche de grès en forme de hibou et appelée le « Hibou » ; tandis que l’hôte la vidait, on le couvrait d’un riche chapeau de feutre, qu’il ne devait ôter devant qui que ce fût, y eût-il même eu des princes à cette table. »

 

LE SIEGE DE GIRBADEN

« Le château de Girbaden se trouva un jour fort menacé par l’ennemi qui l’encerclait de toutes parts ; il n’aurait pu résister d’avantage, si les assiégés ne s’étaient avisés d’avoir recours à une ruse. Il n’y avait plus de vivres au château ; il restait une dernière vache et un petit sac de froment. Ils firent manger le froment à la vache, puis jetèrent celle-ci par-dessus le mur dans camp de l’ennemi. Quand les assiégeants trouvèrent dans l’estomac de la vache les grains de froment frais, ils pensèrent que ceux de château en avaient encore pour longtemps avant de mourir de la disette, et ils levèrent le siège. »

 

LA PROCESSION DES ESPRITS

« A minuit pile, un cortège de religieux habillés en chevaliers sort du grand portail castral et contourne en procession le vaste terrain des ruines. Les participants s’entretiennent dans une langue qui est incompréhensible.Il paraît que ce sont les esprits des Templiers. »

 

TRESORS ENFOUIS

Parmi les légendes qui relatent des trésors enfouis ou mis à jour dans le château de Guirbaden, il faut mentionner celle que Jean Friesé a tirée des manuscrits de Jean André Silbermann. « Un berger aurait trouvé une fois dans les ruines une importante quantité d’ustensiles divers tels que plateaux, récipients, assiettes, gobelets entre autres. Il vendit ce qu’il considérait comme de l’étain à l’aubergiste « de la Couronne » à Rosheim ; ce dernier le fit vérifier un peu plus tard et apprit avec étonnement que toute la vaisselle était en argent massif.

Une parcelle de vérité peut-elle se trouver dans cette légende ? On ne saurait Je dire. Néanmoins, on peut constater le fait qu’aucun autre château d’Alsace ne fut tant fouillé par les chercheurs de trésors que Guirbaden. La découverte — peut-être déjà ancienne — d’objets précieux dans les ruines a très bien pu servir de point de départ à la légende consignée par Silbermann.

Nous savons que les derniers baillis installés à Guirbaden étaient des gens de petite condition qui, ne vivant point dans le luxe, n’ont guère pu laisser de « trésor ». Les seules valeurs précieuses se trouvant au château sont celles que le chapitre de Saint-Léonard près de Boersch y a fait mettre peu de temps avant l’arrivée des Suédois pour les préserver du pillage. Comme déjà mentionné, tous les objets de valeur tels que ornements liturgiques, vêtements de culte et autres avaient été transportés en sécurité à Guirbaden le 5 septembre 1632 ; la vaisselle d’argent et autres préciosités ont très bien pu prendre le même chemin. Tout le matériau inflammable a malheureusement été anéanti dans l’incendie du 14 septembre 1633. Pour ce qui est des objets ayant résisté au feu, nous n’en connaissons ni la teneur, ni la valeur. Furent-ils enfouis par la garnison qui avait en tête de la déterrer plus tard ou pillés par les Suédois ? Une autre hypothèse est possible. Les religieux de Saint-Léonard ont très bien pu entreposer leur trésor dans un couloir souterrain ou il attend toujours d’être découvert. Quoiqu’il en soit, les nombreux chercheurs de trésors qui ont remué le sol du château depuis plus de deux siècles, n’ont jamais mis à jour que des tessons et des morceaux de tuiles. Si la légende du trésor trouvé par le berger possède un certain fond de vérité, il ne peut s’agir que des valeurs placées à Guirbaden par le chapitre de Saint-Léonard. On sait qu’il n’existe pas le moindre trésor en or ou en argent dans les ruines castrales mais uniquement dans l’imagination populaire ; la recherche de tels trésors est à considérer comme issu de la plus pure fantaisie.